dimanche 22 novembre 2009

Bois de roses



"La couverture illustrée du rêve, un champ de boutons d'or enluminant la nuit, le souvenir d'un pré en pente et d'un temps qui précédait de peu l'apprentissage de la lecture - années sans orthographe et sans chronologie, chrysanthèmes et dahlias simplement effeuillés dans le pur plaisir de la prononciation : les mots dormaient dans les livres et les morts au cimetière ne savaient rien de mon enfance.
A l'ombre des lettres en fleurs j'ai appris à épeler l'alphabet avant de lire le rêve de l'herbier où le mot Botanique est écrit en caractères gras : bulbe majuscule, oubli cerné d'une écriture qui ressemble à la mienne, où se dissimule une femme en forêt, ses filles dans la clairière offertes à la manie du bibliophile..."

Gérard Macé
Bois dormant




Rose, o reiner Widerspruch...


"Je l'ai compris pour la première fois à l'Ecole militaire; plus tard sous l'uniforme du fantassin. Et de nouveau à présent : qu'à chaque créature n'échoit jamais, en quelque sorte, que la charge qui est à l'échelle de ses forces, quand bien même elle les dépasserait souvent de beaucoup.
Mais nous qui nous tenons à l'insaisissable point d'intersection de tant de mondes différents et contradictoires, il peut nous arriver d'être surpris soudain par une charge sans aucun rapport avec notre capacité et notre usage : une charge étrangère.
De ce fait, je crois, même enfant, n'avoir jamais demandé autre chose que ma charge, celle qui me revenait et non, par mégarde, celle du menuisier, du cocher de fiacre ou du soldat, car c'est dans ma plus lourde charge que je veux me reconnaître.
Il a fallu ce désordre au sein du monde humain sans limites et si curieux de mille choses qui a fait que tout peut arriver à chacun, pour que notre fin fût discréditée. Comme elle est familière, quand on la rencontre dans son monde propre, dans le fruit passionné de notre capacité!..."
Rainer Maria Rilke
Le testament

OSTINATO


"Par-dessus la grève où gisent à sec les barques fardées de mauve et de jaune pur, les nuages se dénouent dans un grand mouvement de voiles pour y étaler le pompeux éclat de leur blancheur pansue, plumeuse, écaillée au pourtour d'un doux gris pigeon. Vaste buanderie en plein vent. Carte largement déployée qui change à vue. Théâtre céleste auquel la chaleur accumulée du jour déclinant fait prendre un tour dramatique que renforce la troublante apathie de l'océan, sa teinte soudain aciéreuse ou vert nuit autour des roches cernées comme d'une encre bistre qui rend visibles à l'œil nu leurs aspérités aussi nettement qu'à travers une lorgnette. Des éclairs tout au loin fouettent le cirque ravagé des nuages, et les eaux funèbres déjà se creusent comme vibrent derrière soi les premiers arbres sur la côte encore blanche de soleil..."
Louis-René des Forêts
Ostinato

légende



"La peinture est toujours posée couche par couche. C'est une chose fondamentale qui ne souffre pas d'exception pour les peintures, même si elles ont l'air d'avoir été faites d'un seul jet. Le mouvement a toujours croisé sa propre trace quelque part... C'est comme une succession de couches géologiques, avec ruptures et discordances. Mais chaque nouvelle couche, aussi frénétique soit-elle, est toujours contaminée et colorée par celle qui est en dessous. Même quand ce sont des tableaux noirs où la couche qui précède est matériellement éliminée et effacée..."
Per Kirkeby
Bravura